La loi du pays d’origine : un principe inutile et néfaste pour la création

publié le 3 décembre 2015

La Commission européenne s’interroge actuellement sur le meilleur moyen d’inciter à une plus grande disponibilité dans toute l’Union des services mettant à la disposition du public des œuvres protégées, notamment audiovisuelles.

L’une des solutions qui semblerait avoir les faveurs de la Commission serait d’étendre le principe de l’application de la loi du pays d’origine à l’ensemble des services. De cette façon, pense-t-elle, un service installé dans un Etat membre ne serait soumis qu’à une seule loi nationale et non, potentiellement, aux lois de tous les pays dans lesquels il est accessible. Cette option se fonderait sur un précédent : celui de la directive de 1993 sur la diffusion par câble et par satellite. Cette directive prévoit en effet que seule la loi du pays d’émission s’applique à une télédiffusion directe par satellite d’un programme, quand bien même cette diffusion pourrait être captée dans la totalité des Etats membres.

Contrairement aux apparences, l’application de la loi du pays d’origine ne constitue pas une piste réellement efficace pour assurer la plus grande disponibilité des services audiovisuels en Europe.
Cette règle est en premier lieu extrêmement imprécise puisqu’il est difficile de savoir si elle concerne uniquement la substance du droit applicable, ou également la loi du contrat et la société d’auteurs compétente pour délivrer une autorisation (ce dont il est permis de douter).

L’application du principe du pays d’origine à la transmission directe par satellite n’a eu qu’une influence marginale sur la disponibilité des programmes sur tout le territoire de l’Union européenne. En revanche, les dispositions sur la retransmission par câble, qui prévoient une gestion collective obligatoire, ont effectivement permis qu’un grand nombre de chaînes européennes soient disponibles dans les offres des opérateurs nationaux, câblo-opérateurs et opérateurs de l’ADSL.

Mais la retransmission des chaînes par la voie du câble était précisément une activité purement territoriale à laquelle ne s’appliquait que la loi nationale. Cela prouve, s’il en était besoin, qu’il n’existe aucune incompatibilité entre la territorialité du droit d’auteur et la construction d’un marché unique pour les programmes audiovisuels. Les chaînes de télévision françaises qui demandent aux sociétés d’auteurs des autorisations pour diffuser les répertoires dans toute l’Europe, voire dans le monde entier, les obtiennent d’ailleurs toujours.

L’extension du principe de la loi du pays d’origine aux plateformes Internet mettant à disposition du public des œuvres protégées n’apparaît dans ces conditions pas justifiée. Elle aurait pour effet d’affaiblir potentiellement la protection des auteurs en permettant aux services de s’installer dans l’Etat membre le moins protecteur. Et cela est vrai non seulement du point de vue du droit d’auteur, mais également de la règlementation qui vise à assurer une offre diversifiée d’œuvres d’origine européenne et nationale.

Au surplus il existe pour l’essentiel deux types de plateformes audiovisuelles : celles qui visent un public situé sur un territoire donné et celles qui, ayant une vocation internationale, sont déclinées par territoire. Le principe du pays d’origine n’est d’aucune utilité réelle et démontrée pour le fonctionnement du marché. La loi qui a vocation à s’appliquer est celle du territoire où les œuvres sont disponibles pour le public.

Encore faut-il qu’elles le soient réellement et l’on ne peut que regretter à cet égard que les producteurs ne soient pas astreints à une obligation d’exploiter les œuvres dont ils détiennent les droits et dont trop souvent le public est privé. A l’instar de l’Assemblée nationale qui vient d’adopter ce principe dans le projet de loi relatif à la création, la Commission européenne serait, à son tour, bien inspirée d’imposer aux détenteurs de droits une obligation d’exploitation suivie des catalogues.  C’est à cette condition que le patrimoine audiovisuel de chaque pays européen pourra être mieux représenté, en particulier sur les plateformes numériques, dans l’ensemble de l’Union.

Hubert Tilliet

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