Copie privée : la fin de l’insularité britannique ?

publié le 1 juillet 2015

Le Royaume-Uni a longtemps vécu sans introduire d’exception pour copie privée permettant au public de copier librement des œuvres pour un usage privé. Cette situation était surprenante parce que les pratiques de copie devaient être plus ou moins les mêmes que dans les autres pays européens. Mais ces copies demeuraient théoriquement soumises au droit d’autoriser et d’interdire et à la perception en contrepartie d’une rémunération. Un tel système, évidemment impossible à faire fonctionner concrètement, aboutissait de facto à une sorte d’exception non rémunérée.

En octobre 2014 le Royaume-Uni a décidé d’introduire une exception pour copie privée, d’ailleurs très limitée puisqu’elle ne s’applique qu’aux copies de supports (CD et DVD pour l’essentiel). Mais contrairement à la plupart des Etats européens dans laquelle une telle exception existe, les britanniques n’ont pas souhaité instaurer une rémunération pour copie privée à laquelle ils sont hostiles pour des raisons plus idéologiques que véritablement rationnelles.

La situation ainsi créée apparaissait clairement contraire au droit européen puisque la directive de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information impose que l’exception de copie privée soit assortie d’une compensation équitable au profit des auteurs et des producteurs.

C’est la raison pour laquelle un certain nombre de représentants des titulaires de droits britanniques ont saisi la Haute Cour, compétente pour juger de la légalité de la décision du Gouvernement de sa gracieuse Majesté de ne pas introduire de rémunération pour copie privée.

Dans une décision du 19 juin 2015 qu’il est difficile de résumer, le juge semble donner raison aux plaignants, au moins à court terme.

Le Gouvernement anglais s’était en effet fondé sur la directive pour estimer que le préjudice consécutif à l’exception de copie privée étant minimal, il était légitime de ne pas prévoir de compensation pour les ayants droit. Le juge a considéré que la démonstration économique d’un préjudice seulement minimal était insuffisante et ne pouvait justifier en l’état d’écarter toute compensation. Il a notamment désapprouvé la mesure du préjudice par référence aux ventes de supports « perdues » du fait de la copie privée. Ce critère n’apparaît en effet pas conforme aux orientations de la jurisprudence européenne. En revanche, la cour n’a pas semblé considérer que la faculté d’inclure la rémunération pour copie privée dans le prix de vente des supports était a priori incompatible avec le droit européen.

Sur ce dernier point pourtant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est assez clairement en sens contraire, notamment dans les arrêts VGWort et Coydan.

Les parties ont été renvoyées à une audience ultérieure au mois de juillet. Cette audience peut fournir au Gouvernement britannique l’occasion de maintenir sa décision en étayant plus solidement son argumentation.
Il est probable que la CJUE sera saisie de cette question, ne serait-ce que parce que le juge anglais a rappelé que la rémunération pour copie privée était une notion autonome du droit de l’Union. A ce titre elle appelle nécessairement une interprétation des juges de Luxembourg.

Cela signifie-t-il que la Grande-Bretagne finira pas être contrainte d’introduire la rémunération pour copie privée comme elle existe dans la plupart des autres Etats membres ?
Rien n’est moins sûr. Une telle obligation – juridiquement incontestable – risque de nourrir l’hostilité que nombre de britanniques éprouvent à l’égard de l’Union européenne. Et peut-être d’inciter le Gouvernement à obtenir une exemption dans le cadre de la renégociation actuelle des conditions de son appartenance à l’Union européenne.
Hubert Tilliet

 

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