La copie privée à l’ère numérique
publié le 2 octobre 2015
Comme plusieurs principes du droit d’auteur, l’exception de copie privée est appelée à évoluer pour s’adapter aux nouvelles formes d’exploitation.
Le contour de la copie privée a été pour l’essentiel dessiné dans la loi de 1985 à une époque où n’existaient que deux supports de reproduction analogiques : les cassettes audio et les cassettes vidéo. L’apparition des supports numériques à la fin des années 90 (clés USB, CD et DVD vierges puis téléphones portables et tablettes, notamment) n’a pas modifié fondamentalement la donne mais seulement conduit à adapter les critères de fixation de la rémunération pour copie privée.
La situation est aujourd’hui différente. L’évolution ne concerne plus seulement les supports qui permettent au public d’effectuer des copies privées mais les modalités mêmes de la copie. Il est désormais possible – et il le sera de plus en plus – d’effectuer des copies sur des espaces de stockage distants mis à disposition dans le nuage (ou « cloud ») par les opérateurs d’Internet. Trois situations sont à cet égard possibles. La première est celle dans laquelle un service qui offre au public le téléchargement de fichiers d’œuvres protégées permet également de reproduire ces fichiers sur une pluralité d’appareils (ordinateur, téléphone, tablette, etc.). La deuxième hypothèse est celle d’un particulier effectuant des copies d’œuvres qu’il détient dans un espace de stockage mis à sa disposition par un tiers ; c’est le cas dit du « casier personnel ». Enfin, les éditeurs ou les distributeurs de télévision ou de radio peuvent offrir au public – notamment celui de leurs abonnés – la faculté d’enregistrer dans le nuage les programmes au moment de leur diffusion. Cette faculté remplace la copie aujourd’hui effectuée à l’aide du matériel permettant d’avoir accès à la diffusion linéaire (copie sur les « box » des opérateurs). Ce dernier cas est plus connu sous le nom de nPVR (new ou next Personal Video Recorder).
Dans tous les cas envisagés, les copies sont effectuées à l’aide de moyens nouveaux mais ont un effet qui est strictement équivalent aux copies faites aujourd’hui sur le matériel détenu par chaque particulier. L’application de la copie privée semble donc aller de soi. Elle est néanmoins susceptible de se heurter à un obstacle juridique. La définition actuelle de la copie privée dans le code de la propriété intellectuelle, au moins telle que le juge l’interprète, exclut a priori qu’une copie puisse relever de la copie privée si un tiers intervient au moment où elle est effectuée. Si cela était certainement justifié dans le contexte de la copie analogique, cela ne l’est plus à l’heure du stockage numérique.
Le droit européen, interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), autorise d’ailleurs à considérer que l’intervention d’un tiers dans l’acte de copie ne doit pas conduire à écarter systématiquement la notion de copie privée. Citons à cet égard l’arrêt Padawan, qui admet que la copie privée puisse s’appliquer dans le cas d’un service de reproduction rendu à un particulier par un tiers. Dans le même sens, l’arrêt Copydan estime qu’une copie privée peut être effectuée à l’aide d’un dispositif appartenant à un tiers.
S’il est justifié, tant sur le plan économique que sur le plan juridique, d’étendre la définition de la copie privée aux espaces de stockage distants ou délocalisés, il convient évidemment d’entourer cette extension des précautions nécessaires. De ce point de vue, les conditions fondamentales de la copie privée devront être réaffirmées. Rappelons que ces conditions sont les suivantes : la copie doit être réservée à l’usage privé d’une personne physique, non destinée à une utilisation collective, sa source doit être licite et son usage ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. Il est donc exclu que la copie privée puisse constituer un moyen primaire d’accès aux œuvres ou un moyen de contourner les règles relatives à l’autorisation préalable des auteurs, des artistes et des producteurs.
Ainsi encadrée l’extension de l’exception de copie privée permettra de pérenniser l’équilibre entre les titulaires de droits et le public bénéficiaire de l’exception de copie privée.
Hubert Tilliet
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Commentaires (2)
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Bonjour,
bizarrement, comme à chaque fois que la SACD se pique de numérique, j’ai la moutarde qui monte vite et fort.
un exemple amusant :
Une association opère à titre privé un cloud ‘casier personnel’ (Framadrive) sur lequel peuvent parfois atterrir des fichiers tombant dans les rets du « droit d’auteur » (ex : numérisation d’un CD pour mise à disposition sur mes nombreux appareils mobiles)
– j’ai déjà payé la copie privée pour la machine où j’ai effectuée la copie (normal)
– l’opérateur (à titre _gratuit_) du cloud lui a payé la copie privée pour le serveur où est déposé la copie (que j’ai effectuée) (là déjà on sent la pente savonneuse, l’opérateur paye pour les copies effectuées par ses clients)
– j’ai également payé la copie privée pour chacun des appareils où le fichier sera synchronisé (normal)…
Si je suis votre « raisonnement » il faudra également que soit moi, soit l’association qui opère le service gratuit payons _une seconde fois_ parce que c’est un cloud ?
In fine les supports des copies techniques (disques durs des serveurs loués à cette fin) des « cloud » quelque soit leur finalité fonctionnelle sont _tous_ soumis à copie privée non ?
Je paye déjà (fort cher) le droit de copier le DVD ou le Blue-Ray vérolés de protections anti-copie onéreuses (pour moi et pour le producteur) qui me nient techniquement toute possibilité de copie.
Les 1.2 To de photographies personnelles et autre données privées et leur sauvegardes (en raid donc supports x2) financent déjà beaucoup la copie privée.
Les 20To de machines virtuelles que j’entretiens à titre professionnel (Raid5 supports x3 donc) financent une copie privée qui n’est pas reversée aux auteurs des dits logiciels.
Il faudrait en plus re-payer pour les supports d’un fournisseur cloud qui a déjà payé pour ses supports ? On a des tronches de vaches à lait à ce point ?
Il est préférable de s’en tenir à des faits :
– les copies synchronisées sur des appareils eux-mêmes soumis à la rémunération pour copie privée seront couvertes par la rémunération payée sur ces appareils ; le calcul de cette rémunération devra simplement tenir compte de ces copies, ce qui est parfaitement logique
– il est inexact de laisser entendre que les espaces de stockage distant et les « appareils » qui servent à les héberger seraient en l’état soumis à la rémunération pour copie privée (la loi ne le prévoit pas à ma connaissance)
L’objectif est juste d’adapter la copie privée aux conditions dans lesquelles elle sera possible dans un proche avenir. Avec un souci : maintenir un équilibre raisonnable entre le public qui souhaite continuer à bénéficier de l’exception de copie privée et les auteurs qui doivent être rémunérés à ce titre.
Evitons donc les raisonnements hâtifs.