La CJUE, gardienne du monopole exclusif des auteurs ?

publié le 12 décembre 2016

Pour une fois la CJUE rend un arrêt qui semble constituer une application rigoureuse des principes du droit d’auteur tels que fixés dans la Convention de Berne.

Dans sa décision du 16 novembre 2016, elle estime en effet que la loi du 1er mars 2012 concernant les livres indisponibles n’est pas conforme à la directive de 2001.

Cette loi devait assurer l’exploitation numérique de livres « indisponibles » publiés avant 2001. Pour ce faire elle a mis en place un mécanisme par lequel, faute d’opposition d’un auteur, soit avant, soit après l’exploitation, celle-ci pouvait être entreprise. L’objectif d’intérêt général était clair : mettre à la disposition du public des ouvrages devenus introuvables et pour la plupart d’entre eux peu ou pas rentables.

Un certain nombre d’auteurs avaient saisi le Conseil d’Etat estimant que le dispositif français méconnaissait le principe de leur autorisation préalable.

La cour rappelle tout d’abord que le monopole des auteurs ne se limite pas à la jouissance des droits mais s’étend aussi à son exercice et que les droits garantis aux auteurs sont de nature préventive en ce sens que tout acte de reproduction ou de communication au public d’une œuvre par un tiers requiert le consentement préalable de son auteur.

Or si, selon la CJUE,  le consentement  de l’auteur peut être exprimé de manière implicite (ce qui est d’ailleurs très discutable), encore faut-il que l’autorisation implicite soit strictement encadrée.

En l’espèce, la loi sur les livres indisponibles ne comporte pas de mécanisme garantissant l’information effective et individualisée des auteurs. Le droit d’opposition qui leur est reconnu est donc théorique car l’absence d’opposition procède, si l’on suit bien le raisonnement de la CJUE, plutôt de l’ignorance que de l’acquiescement à une exploitation dont ils auraient été dûment et personnellement informés.

Le mécanisme applicable aux livres indisponibles revient donc à introduire une exception au principe de l’autorisation préalable. Cette exception n’étant prévue nulle part dans la directive de 2001 sur le droit d’auteur, la conclusion de la CJUE est logique : le mécanisme français applicable aux livres indisponibles n’est pas conforme au droit européen.

Cette conclusion est sans doute parfaite sur le plan des principes mais elle manque peut-être d’un certain pragmatisme. On peut s’interroger sur les modalités d’une information individualisée d’auteurs (ou de leurs héritiers) qui sont généralement introuvables.

Il est permis aussi de regretter qu’un projet qui avait pour but de faire revivre tout un fond patrimonial disparu des circuits commerciaux habituels se voit brusquement stoppé dans son élan et ce, alors même que l’Union européenne encourage par ailleurs – à juste titre – ce type d’initiative.

Il reste à souhaiter que la modification du droit d’auteur européen actuellement en discussion fournisse l’occasion de faire une place pour des mécanismes plus souples dans des situations qui le justifient, comme c’est le cas en l’espèce.

Hubert TILLIET

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