Allostreaming, une bonne décision contre la contrefaçon
publié le 5 avril 2016
Dans son arrêt du 15 mars 2016 la Cour d’appel de Paris a confirmé les mesures de filtrage ordonnées en première instance pour stopper le streaming illicite d’œuvres audiovisuelles. Elle infirme en revanche la décision du Tribunal de grande Instance de Paris qui en faisait supporter le coût aux syndicats professionnels.
Les intermédiaires avaient été condamnés à prendre ces mesures sur le fondement de l’article L 336-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Chacune des parties ayant intérêt à faire appel, les intermédiaires avançaient pour leur part plusieurs arguments pour contester les mesures qui leur avaient été ordonnées.
L’article L 336-2 CPI, qui transpose l’article 8.3 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins, envisage toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin sur Internet à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
La directive visant quant à elle les « intermédiaires », les moteurs de recherche prétendaient être exclus de son champ d’application et demandaient qu’une question préjudicielle soit posée en ce sens à la Cour de justice de l’Union européenne : demande rejetée par la cour d’appel au regard de la jurisprudence européenne et de la directive, puisqu’exclure les moteurs de recherche diminuerait substantiellement la protection des titulaires de droits recherchée, alors que la finalité même de la directive est d’assurer un niveau de protection élevé du droit d’auteur. La cour en conclut que l’article L 336-2 CPI s’applique notamment aux moteurs de recherche sur Internet sans qu’il y ait lieu de saisir sur ce point la CJUE.
Les moteurs de recherche cherchaient ensuite à faire exclure les mesures ordonnées du champ d’application de l’article L 336-2 CPI en invoquant les principes de nécessité et de proportionnalité tout en prétendant qu’elles ne permettaient pas de remédier à l’atteinte alléguée.
La cour considère cependant qu’il résulte, tant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que des principes du droit européen, que l’obligation de « stricte nécessité » implique seulement de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, les inconvénients au regard de la liberté d’expression et de communication ne devant pas être démesurés par rapport aux buts poursuivis (décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 validant l’article L 336-2 CPI et arrêt CJUE UPC Telekabel du 27 mars 2014 pour l’article 8.3 de la directive). La cour considère ensuite que la conjonction des mesures de blocage et de déréférencement, dont les effets s’additionnent, contribue à rendre encore plus difficile l’accès des internautes aux sites contrefaisants et s’avère en conséquence justifiée même s’il ne s’agit pas d’une protection absolue, par hypothèse impossible.
La cour d’appel répond enfin à la question cruciale de savoir qui doit supporter les coûts des mesures ordonnées. Elle constate tout d’abord que selon les principes généraux du droit français, une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits.
Elle ajoute à cet égard que l’équilibre économique des syndicats professionnels, déjà menacé par ces atteintes massives du fait de la mise à disposition illicite des œuvres sur Internet, ne peut qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires. Elle précise que les intermédiaires sont bien à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites ; qu’ils tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages) et qu’il est dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures ordonnées en choisissant de mettre en place celles qui sont les plus appropriées comme l’indique l’arrêt UPC Telekabel. La cour observe ensuite que les intermédiaires ne démontrent pas en quoi l’exécution des mesures ordonnées leur imposerait des sacrifices insupportables au sens de l’arrêt Telekabel de la CJUE, ni que leur coût mettrait en péril leur viabilité économique.
Elle en conclut qu’en mettant le coût des mesures de blocage et de déréférencement à la charge des intermédiaires, elle prononce des « mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause » au sens de la décision du conseil constitutionnel du 10 juin 2009.
Cette décision est à cet égard très positive. Il apparaît normal que le débiteur de l’obligation de filtrage soit également débiteur de l’obligation d’en assurer le financement. Il serait souhaitable et utile que le droit européen établisse clairement ce principe.
Nadia Walravens-Mardarescu
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