Le droit d’auteur européen s’élabore-t-il à Luxembourg plutôt qu’à Bruxelles ?

publié le 19 décembre 2014

Il y a seulement dix ans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), installée à Luxembourg, en matière de droit d’auteur était un sujet un peu secondaire. Le droit d’auteur était pour l’essentiel défini et, surtout, appliqué au niveau de chaque Etat membre et par des juridictions nationales.

Les temps ont changé.

Parce que le droit comme la nature a horreur du vide, et aussi sans doute parce que la culture est de plus en plus perçue comme une industrie, la jurisprudence de la CJUE en matière de droit d’auteur s’est étendue de façon considérable et les décisions rendues font souvent l’objet de titres et de commentaires dans la presse d’information destinée au grand public, au moins dans le domaine des nouvelles technologies.  Un récent colloque (Le droit d’auteur dans la jurisprudence de la CJUE) s’est tenu à Nantes sur le sujet en présence de quelques-uns des meilleurs spécialistes européens. Il a dressé un bilan assez mitigé des décisions de la CJUE et des incertitudes qu’elles font peser sur l’interprétation des textes européens.

Trois reproches sont principalement adressés à la CJUE.

Le premier est qu’elle a tendance à faire œuvre législative à la place du législateur dans la mesure où elle rend des décisions de principe qui ne sont pas susceptibles de recours et figent le droit dans un sens qui n’est pas forcément celui des directives ni, a fortiori, celui du droit national. La CJUE a ainsi forgé le concept de « notion autonome du droit de l’Union » qui lui permet de restreindre la marge d’interprétation des juridictions nationales, voire d’imposer des modes de raisonnement ou des critères inconnus jusqu’alors.

Le second reproche est celui d’une relative imprévisibilité, voire d’un certain manque de cohérence des décisions rendues. C’est particulièrement le cas du droit de communication au public dont on ne comprend plus, au fil des décisions, exactement ce qu’il recouvre. Pour qu’un acte soit considéré comme une communication au public nécessitant une autorisation préalable de l’auteur, faut-il qu’il y ait nécessairement un public nouveau ? Parfois oui, parfois non. Et d’ailleurs on ne sait pas toujours en quoi consiste exactement un public nouveau. La CJUE a même estimé qu’une fois une œuvre mise en ligne sur Internet elle était disponible pour tout le monde. Dans ces conditions, l’établissement d’un lien vers cette œuvre constituerait un acte de communication au public, mais pas à un public nouveau, et ne serait pas couvert par le droit d’auteur. Comprenne qui pourra.

Le troisième reproche est que la CJUE a tendance à s’affranchir de la logique du droit d’auteur en le traitant comme une activité économique semblable aux autres, voire en s’affranchissant de principes fondamentaux comme ceux de  la convention de Berne, qui constitue pourtant le texte fondateur de la protection du droit d’auteur au niveau international.

Il serait pourtant excessif d’être trop sévère à l’égard de la CJUE, ne serait-ce que parce que dans certains cas elle fait une application plutôt protectrice des intérêts des auteurs et veille à préserver leurs intérêts. Ce fut le cas, dans une certaine mesure, pour la copie privée.

En outre, il faut reconnaître que l’intervention croissante de la CJUE est une conséquence de la tendance des juridictions nationales à l’interroger systématiquement sur le sens des directives européennes, y compris lorsque cela ne s’impose pas avec évidence. Le recours trop fréquent aux questions préjudicielles fournit ainsi  la matière première d’une activité jurisprudentielle pléthorique. Mais comme la CJUE l’a déjà discrètement fait observer, c’est le manque de clarté et de précision des directives européennes en matière de droit d’auteur qui rend inévitable la multiplication des demandes d’interprétation.

Or c’est bien au processus législatif – c’est-à-dire aux autorités politiques – et non aux juridictions de procéder à des choix clairs pour protéger la création. La Commission européenne devrait à cet égard se pencher bientôt sur une refonte du droit d’auteur. Toute la question est de savoir si c’est beaucoup plus rassurant que le gouvernement des juges de Luxembourg.

Hubert Tilliet

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