Dying of the Light ou Dying of the (moral) Right?
publié le 1 décembre 2014
La presse a rapporté les difficultés rencontrées par Paul Schrader concernant son film Dying of the Light. Le producteur de ce film l’a entièrement remonté et remixé, aboutissant à une version que désapprouve son réalisateur, et même certains de ses interprètes principaux. Il semblerait pourtant que Paul Schrader soit assez démuni et ne puisse pas s’opposer à la sortie du film et n’ait que peu de moyens de faire la publicité de son désaccord sans risquer de méconnaître le contrat qui le lie au producteur. Il en est réduit à arborer un T-shirt rappelant la clause qui lui interdit de…faire des commentaires sur le film.
Cette situation, s’agissant au surplus d’un réalisateur reconnu, est paradoxale. Le droit français est en tout cas beaucoup plus protecteur que ne l’est le droit américain et un cas similaire serait sans doute difficilement concevable en France. On ne peut d’ailleurs que se féliciter que la Cour de Justice de l’Union européenne ait rappelé en 2012 qu’en matière cinématographique le droit d’auteur ne peut naître que sur la tête de l’auteur, marquant ainsi qu’un film est avant tout le film d’un auteur.
En droit français la version d’une oeuvre destinée à être communiquée au public – la version définitive – doit faire l’objet d’un accord entre le réalisateur (éventuellement les autres coauteurs) et le producteur. Ce dernier a certes la faculté de procéder à l’achèvement d’un film si un des coauteurs refuse ou n’est pas en mesure de mener à bien sa collaboration. Dans ce cas le producteur peut utiliser celle-ci pour terminer le film mais l’auteur concerné conserve la possibilité de s’opposer à sa dénaturation et il peut à cette fin saisir les tribunaux.
Une fois la version définitive établie elle doit être considérée comme intangible et ne peut faire l’objet de modifications de nature à en altérer l’esprit, c’est-à-dire contraires à l’intention esthétique du réalisateur. Cela a été jugé à de nombreuses reprises. L’affaire la plus célèbre est celle de la colorisation d’Asphalt Jungle de John Huston. Ce cas est d’autant plus remarquable que la cour de cassation avait estimé que la loi française protégeant le droit moral d’un réalisateur avait vocation à s’appliquer à un film américain dès lors qu’il y avait une atteinte sur le territoire français. A la suite de la cour de cassation, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’au moment de la réalisation du film, la couleur existait déjà et qu’il était démontré que c’était de propos délibéré que le film avait été tourné en noir et blanc. La colorisation ne constituait donc pas une adaptation mais une modification contraire à l’intention de l’auteur et donc illégale. Les juridictions ont suivi des raisonnements analogues pour estimer que la diffusion d’un film avec adjonction d’un logo dissimulant une partie de l’image, la modification de la bande-son ou la réduction de la durée constituaient des atteintes au droit moral dès lors qu’elles n’étaient pas autorisées par les auteurs.
Il est probable que le droit moral aura à s’appliquer aussi en matière de restauration des films anciens. Sur ce point la jurisprudence est assez claire : la mission du restaurateur est de restituer l’œuvre dans la stricte fidélité à l’image et à l’esprit d’origine, et ce quand bien même il serait dans certains cas lui-même un véritable auteur. Une méconnaissance caractérisée de la volonté de l’auteur initial pourrait être sanctionnée par les tribunaux éventuellement saisis par ses héritiers.
Le droit moral français rend donc moins probables des dérives comparables à celle dont Dying of the Light fournit un exemple qu’on ne peut que déplorer, pour rester nuancé.
Contrairement à ce que l’on soutient parfois le droit moral ne porte nullement atteinte à la liberté d’expression. Chacun demeure libre de critiquer ou d’analyser une œuvre, voire de la parodier dans certaines limites. La fonction du droit moral est juste de préserver l’intégrité d’un film et d’en empêcher la mutilation, quelle que soit la forme de cette mutilation. Le respect de l’intention artistique d’un réalisateur ou d’un scénariste participe d’ailleurs d’une volonté plus large de préserver les conditions d’une création qui soit vraiment originale.
Le droit moral est donc avant tout un moyen de favoriser la diversité culturelle et d’éviter que la création soit exclusivement soumise aux lois du commerce.
Hubert Tilliet
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