Biens communs : de quoi parle-t-on au juste ?

publié le 21 octobre 2015

Il y a quelques années la mode était aux  creative commons , faculté offerte aux auteurs d’accepter à l’avance la diffusion de leurs œuvres en renonçant à toute autorisation préalable et à leur rémunération. Cette démarche présentait un inconvénient majeur : la décision de l’auteur était quasi-irréversible. Elle avait néanmoins l’avantage d’être contractuelle, et donc volontaire, et de prévoir différentes modalités de mise en œuvre (par exemple une limitation aux utilisations non commerciales, notion floue mais qui assurait une relative protection aux auteurs).

Le projet de loi Pour une République numérique va plus loin en prévoyant à son article 8 une définition positive de ce qu’est un « bien commun informationnel » ou, terme plus usuel, de ce qui relève du domaine public.

Le texte traite des œuvres protégées alors même que toutes les dispositions les concernant  figurent dans le texte du code de la propriété intellectuelle. Pourquoi faire exception dans ce cas d’espèce ? Il n’y a aucune explication. Pourquoi les auteurs, les éditeurs, les producteurs et ceux qui les représentent n’ont-ils pas été consultés en amont de cette réforme cachée du droit d’auteur ? Mystère. Peut-être simplement la volonté de noyer l’opinion des premiers intéressés dans une consultation publique tous azimuts où les excès habituels des opposants au droit d’auteur peuvent se donner libre cours.

Le projet procède en réalité d’une confusion conceptuelle entre la notion d’information, d’idée, de principe,  de méthode ou de découverte, d’une part, et celle d’œuvre protégée d’autre part.  Il a toujours été admis que les informations ou les idées en tant que telles n’étaient pas protégeables, au contraire des œuvres couvertes par le code de la propriété intellectuelle. Assimiler les deux n’est aucunement justifié. A cet égard, on ne saisit pas quelle est la nécessité d’affirmer dans la loi qu’une œuvre dans le domaine public constituerait un « bien commun » alors que cela découle d’ores et déjà des dispositions du code de la propriété intellectuelle sur la durée de protection des œuvres.

Rappelons que le droit de propriété intellectuelle – et singulièrement la propriété littéraire et artistique – est le seul droit de propriété qui soit limité dans le temps. Cette limitation est certes tout à fait légitime au regard d’objectifs d’intérêt général, comme celui de l’accès à la culture. Mais quelle est l’utilité de rajouter une disposition spécifique sur les biens communs alors que l’état du droit français est parfaitement clair sur ce point et n’a jamais suscité de réelle difficulté de mise en œuvre (on chercherait en vain des exemples) ?

La vérité est probablement que ce texte, loin de viser seulement une définition positive du « domaine public » – totalement inutile au regard du droit positif – a plutôt pour objet de servir de levier pour combattre le droit d’auteur et en délégitimer le bien fondé, sinon pourquoi affirmer des évidences ? Le fait que l’article 8 introduise la faculté pour des associations agréées d’agir en justice pour faire respecter le « domaine commun informationnel » en constitue un indice éloquent. Si une telle disposition est peut-être compréhensible pour des informations ou des données brutes, elle ne peut que fournir un prétexte pour contester que certaines œuvres dans le domaine public puissent néanmoins faire l’objet d’exclusivités. Par exemple lorsqu’elles ne peuvent être communiquées au public qu’à la suite d’investissements importants ou dans le cadre d’un travail de mise en forme relevant lui-même de la protection du droit d’auteur.

L’article 8 2° du projet de loi  doit donc être retiré, sauf à semer la confusion et à affaiblir le droit d’auteur sous couvert d’intentions en apparence louables.
Hubert Tilliet

Commentaires (1)

 

  1. Eric dit :

    Un exemple de difficulté de mise en œuvre du domaine public ? Mais vous en donnez un parfait exemple à l’avant-dernier paragraphe : Des acteurs qui sous prétexte d’investissements importants souhaitent illégalement imposer une exclusivité de réutilisation d’un élément pour lequel il n’y a aucune protection nouvelle liée au droit d’auteur (je ne parle donc pas de ceux où il y a création d’une œuvre nouvelle suite à un travail de mise en forme original). Les opérations de numérisation à l’identique en sont un exemple criant.

    Dire en même temps que c’est l’évidence, qu’il n’y a aucun exemple, et soutenir justement ces exemples dans le paragraphe suivant, c’est un peu contradictoire quand même.

    Quant-à décrier le côté public d’une consultation dans l’élaboration d’une loi d’un régime démocratique, ou croire que le public n’est pas aussi concerné que l’auteur dans ce qui est un équilibre entre les deux intérêts légitimes, c’est un peu fort quand même.

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