Une réforme du droit d’auteur modeste et insuffisante

publié le 26 septembre 2016

Le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission européenne vient d’être publié. Il comporte peu d’initiatives majeures ou audacieuses. On peut s’en féliciter dans la mesure où le projet ne remet pas en cause les acquis les plus importants du droit d’auteur. On peut le déplorer si l’on considère que deux sujets sont, à ce stade en tout cas, totalement laissés de côté : la rémunération effective des auteurs de l’audiovisuel et le droit de communication au public.

L’extension des exceptions concerne pour l’essentiel deux hypothèses. La première est celle de l’utilisation d’œuvres à des fins pédagogiques, y compris sur des réseaux transfrontières accessibles à des enseignants ou à des élèves. On en conclut que le respect des limites de l’exception reposera pour l’essentiel sur des systèmes techniques de protection des œuvres et d’identification des utilisateurs, dont la fiabilité est parfois sujette à caution. Mais il existe au moins deux motifs de satisfaction. Les Etats membres pourront prévoir une rémunération équitable de l’exception ou décider que celle-ci n’a pas lieu de s’appliquer à certains types d’œuvres quand des systèmes de licences existent.

Il est à cet égard regrettable que s’agissant de l’exception dite « Text and Data Mining » (TDM) l’Europe n’ait pas privilégié la voie des licences, qui permet d’assurer la même sécurité juridique aux utilisateurs sans remettre en cause les droits des créateurs, des éditeurs et des producteurs. Le TDM devrait s’appliquer aussi aux œuvres audiovisuelles. Mais on ignore à ce stade quelles « données » d’une œuvre audiovisuelle pourraient être concernées. Cet aspect mériterait d’être précisé, au moins ultérieurement.

On peut en revanche approuver le choix que la Commission a fait de régler les effets négatifs de l’arrêt Reprobel en prévoyant qu’un droit à rémunération prévu par la loi (comme la rémunération pour copie privée) puisse également bénéficier à l’éditeur cessionnaire. C’est la solution la plus simple et la plus conforme à la pratique dans la plupart des Etats membres. On peut juste regretter la très grande imprécision du texte qui vise la « cession ou la licence d’un droit » sans que l’on sache si ce droit est spécifiquement le droit à rémunération concerné ou s’il s’agit du droit de reproduction ou, plus largement, de n’importe quel droit. Il conviendrait de lever les ambiguïtés du texte pour éviter la multiplication des contestations possibles ou l’hétérogénéité de la transposition selon les Etats.

Les dispositions prévoyant une coopération entre les services en ligne et les titulaires de droit dans le cadre d’accords constituent sans doute un progrès. Mais la disposition apparaît insuffisamment contraignante. Il aurait été plus judicieux de mettre en place un système dans lequel la fourniture par le titulaire de droits des éléments permettant d’éviter la mise à disposition illicite d’œuvres impose au service en ligne une responsabilité plus large que celle prévue dans le cadre de la directive sur le commerce électronique. A défaut d’une telle fourniture le régime de responsabilité des plateformes demeurerait celui qui est actuellement en vigueur. Une telle évolution du droit européen aurait au moins le mérite de constituer une incitation réelle à la coopération entre services et ayants droit.

La Commission européenne souhaite développer l’accès aux œuvres sur les services de médias à la demande. Les auteurs sont évidemment les premiers à partager cet objectif. Le droit français, depuis la loi création, est d’ores et déjà infiniment plus précis et contraignant que le projet européen. La proposition de la Commission est en outre à la fois insuffisamment contraignante et peut-être trop large. Elle semble en effet prévoir un recours à un mécanisme de médiation pour la délivrance des autorisations aux plateformes. Or un tel mécanisme n’est pas indispensable car ce n’est généralement pas à ce niveau que les difficultés surgissent. Il devrait donc au minimum être facultatif. La proposition pourrait très bien introduire une obligation d’exploitation suivie et effective des œuvres à la charges des producteurs afin d’assurer la diversité de ce qui est mis à la disposition du public. Une telle orientation aurait au moins le mérite de la cohérence avec les mesures préconisées dans le cadre de la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels.

Mais le plus important dans le projet de révision du droit d’auteur est ce qui n’y figure pas.

La proposition prévoit des obligations de transparence plus contraignantes au bénéfice des auteurs, en particulier pour ce qui concerne la reddition des comptes. Mais l’esprit du texte est d’assurer un meilleur fonctionnement de la gestion des contrats individuels, ce qui est en soi positif. Malheureusement rien n’est prévu pour instaurer une rémunération proportionnelle des auteurs dans le domaine de l’audiovisuel. On ne peut sur ce point que renvoyer au livre blanc de la Société des Auteurs de l’Audiovisuel (SAA).

Le texte de la Commission est aussi totalement muet sur l’une des questions les plus importantes, celle du périmètre du droit de communication au public. La récente jurisprudence de la CJUE dans ce domaine a plutôt tendance à affaiblir les droits des créateurs. Il serait donc urgent de clarifier les choses..

Faute d’agir en ce sens, l’Union européenne pourrait difficilement prétendre assurer « un haut niveau de protection » au droit d’auteur comme elle le proclame dans ses textes.
Hubert Tilliet

 

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