Droit d’auteur : quel équilibre ?

publié le 8 juillet 2015

La Cour de cassation a rendu un arrêt le 15 mai dernier en matière de contrefaçon assorti d’une motivation qui peut susciter la surprise, voire une certaine inquiétude.

L’affaire était relativement simple en fait et en droit. Un photographe se plaignait de la reprise non autorisée de trois de ses photographies dans des œuvres picturales. La Cour d’appel de Paris, après avoir constaté l’originalité des photographies concernées, en avait déduit que la reproduction était contrefaisante. Cette conclusion coulait de source.

Pas tout à fait cependant pour la Cour de cassation, qui casse l’arrêt au motif que la cour d’appel n’aurait pas expliqué « concrètement » en quoi le juste équilibre entre le droit d’auteur, d’une part, et la liberté de création, d’autre part, justifiait la condamnation. L’auteur des œuvres picturales avait en effet invoqué sa liberté de création artistique comme une sorte de « circonstance atténuante » de la contrefaçon.

S’il est indéniable que le droit d’auteur et la liberté de création sont deux principes de même valeur au sens de la convention européenne des droits fondamentaux et que l’un et  l’autre sont consubstantiels à un Etat de droit, leur mise en concurrence peine un peu à convaincre.

La Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà dans deux décisions de 2013 (Ashby et Pirate Baye) mis en balance le droit d’auteur avec d’autres droits fondamentaux, notamment celui à la liberté d’expression. Mais c’est la première fois que la cour de cassation reprend à son compte ce mode de raisonnement, qui apparaît critiquable pour au moins deux raisons.

La première est qu’il remet en cause une notion de base du droit d’auteur. La contrefaçon est normalement constituée dès lors qu’il est établi qu’une œuvre a été utilisée sans l’autorisation préalable de son auteur. Cette règle s’applique sauf existence d’une exception spécifique à même de justifier la reprise de l’œuvre d’un autre. C’est le cas par exemple en matière de parodie ou de citation. En revanche la liberté de création n’a jusqu’à présent jamais permis que l’on utilise les créations d’un auteur sans que celui-ci n’ait donné son accord.

La seconde raison est que la recherche d’un équilibre entre le droit d’auteur et la liberté de création est artificielle. Le droit d’auteur participe pleinement de la liberté de création. Il ne s’oppose pas à elle mais en constitue au contraire une des modalités. Un auteur qui choisit, au nom de son droit moral, d’interdire la reprise de ses créations, fait usage de sa liberté de créateur. Le droit d’auteur n’a pas une dimension uniquement patrimoniale.

Il est possible évidemment de se rassurer en pensant que la Cour de cassation s’est contentée de rappeler un grand principe – celui de la conciliation des droits de même valeur – mais que ce principe ne remettra jamais en cause la primauté de la volonté de l’auteur de l’œuvre d’origine sur celle de l’auteur de l’œuvre dérivée, comme cela a toujours été le cas. Quelles seraient d’ailleurs « concrètement », pour reprendre le terme utilisé par la Cour de cassation, les circonstances qui pourraient justifier la contrefaçon ? Nul  le sait.

Et c’est précisément ce que l’on peut craindre.  L’arrêt du 15 mai ouvre une brèche potentielle énorme dans le droit d’auteur par l’introduction insidieuse d’une sorte de « fair use » européen permettant au juge de créer de nouvelles exceptions, imprévisibles car définies dans chaque cas particulier et ce en dehors de tout référence aux règles de la propriété littéraire et artistique.

Ce n’est pas de bon augure.

Hubert Tilliet

Commentaires (1)

 

  1. Gigi dit :

    Au contraire, il est temps qu’un fair use fasse front à 15 ans de législatif à sens unique.

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